Mohammed Ben Salman, alias « MBS », a de grandes ambitions – et de gros moyens pour les satisfaire. Maître de facto de l’Arabie saoudite à 37 ans, aux côtés de son père vieillissant, le roi Salman, le prince héritier veut transformer la plus grande pétromonarchie du Golfe, réputée pour son conservatisme wahhabite, en puissance régionale moderne susceptible d’attirer les meilleurs talents étrangers pour diversifier son économie. Il a un plan pour cela : « Vision 2030 ».
Sa dernière arme est le ballon rond. Le transfert, officialisé mardi 15 août, du joueur brésilien Neymar, star du Paris Saint-Germain, à Al-Hilal, l’un des clubs de Riyad, consacre la stratégie de « MBS » de faire du sport de niveau mondial l’un des principaux instruments du « soft power » saoudien.
Sa conquête des étoiles du football a commencé cette année avec l’acquisition de l’attaquant portugais Cristiano Ronaldo, cinq fois Ballon d’or, par le club Al-Nassr, qui lui verse le salaire le plus élevé de l’histoire du football : 200 millions d’euros par saison. Puis c’est le Français Karim Benzema, du Real Madrid, lui aussi Ballon d’or, qui a cédé aux sirènes du club vedette de Djedda, Al-Ittihad, sur un contrat de 588 millions d’euros. Il a été suivi par un autre Français, N’Golo Kanté, qui a signé pour trois ans également à Djedda. Seul Messi a pour l’instant résisté à la tentation d’un chèque de 360 millions d’euros du club Al-Ittihad, auquel il a préféré les charmes de Miami.
Instrument de soft power
Ces stars du ballon rond ont beau avoir la trentaine, elles peuvent encore attirer du monde – et des audiences – et offrent un vernis international au championnat saoudien, qui en était dépourvu il y a seulement quelques mois. Cette offensive affole la planète foot, où les millions se comptent communément en dizaines, moins souvent en centaines. Mais « MBS » a les poches profondes et ne regarde pas à la dépense. Il a vu comment le Qatar a réussi à se tailler une cote mondiale dans le football et il ambitionne d’organiser à son tour la Coupe du monde en Arabie saoudite en 2034.
La stratégie de « MBS » ne se limite pas à débaucher des champions du ballon rond. Grâce au fonds souverain saoudien, le royaume a aussi investi dans la formule 1 et créé un circuit international de golf dissident. Les clubs de football à l’étranger l’intéressent : il a déjà racheté Newcastle Utd.
Que veut « MBS » ? Le sport comme source de revenus et comme instrument de soft power s’inscrit dans son plan de diversification économique global post-pétrole. C’est aussi le moyen de séduire la jeunesse saoudienne, dans un pays dont les deux tiers de la population ont moins de 35 ans. Contrairement au Qatar, le football est un sport populaire en Arabie saoudite, qui dispose déjà d’une infrastructure de stades où, privilège suprême, les femmes sont admises.
Bien sûr, l’ambitieux prince héritier cherche aussi à blanchir une image sérieusement teintée par les violations des droits de l’homme et le nombre croissant d’exécutions de condamnés à mort. Il est difficile d’effacer le macabre assassinat, en 2018, du journaliste critique du régime Jamal Khashoggi dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul. Mais les joueurs de football, y compris Neymar le fêtard, ne sont pas les seuls à juger le royaume fréquentable. Les présidents Joe Biden et Emmanuel Macron ont renoué avec « MBS », qui vient aussi d’être invité au Royaume-Uni. Pourquoi attendrait-on des sportifs davantage de scrupules moraux que des politiques ?