Quand je me suis installée à Paris autour de la trentaine, tous les serveurs m’appelaient « Mademoiselle ». Ils m’accueillaient d’un « Bonjour, mademoiselle », puis déclaraient « Voilà, mademoiselle » en posant mon café devant moi. En tant qu’Américaine, je trouvais charmante cette coutume locale. Dans les bars de New York ou d’ailleurs, on utilise rarement son équivalent anglais, Miss, qui fait un peu vieux jeu.
Mais, une fois la quarantaine atteinte, j’ai constaté un changement radical d’attitude. Les serveurs ont commencé à me donner du « Madame », même s’ils l’accompagnaient d’un ton exagérément cérémonieux ou d’un clin d’œil blagueur. Et puis les « Mademoiselle » occasionnels et enjoués ont disparu, de même que l’ironie qui atténuait les « Madame ». Je décelais aussi une nuance nouvelle dans les regards masculins récoltés dans la rue : « Je coucherais bien avec elle, semblaient-ils dire, mais seulement si je n’ai aucun effort à faire. »
Lecteur, lectrice, je t’avoue ne pas être l’égale de Brigitte Bardot : les têtes ne se tournent pas sur mon passage, mon sourire ne brise pas les cœurs. Pourtant, cette nouvelle étiquette m’a plongée dans un abîme existentiel. Qui est cette « Madame » que – selon un large consensus – je suis devenue ? Quelle est mon identité à présent ? Suis-je entrée dans une phase de ma vie où je vais devenir une matrone dépourvue de toute valeur sur le plan sexuel ?
Sans doute cette pensée rejoint-elle ma propension américaine à considérer l’âge comme un déclin inexorable. Une amie californienne me demandait un jour, en ne plaisantant qu’à moitié : « Tu ne trouves pas qu’il te reste cinq ans avant que plus personne ne veuille coucher avec toi ? » De toute façon, j’avais appris auprès de mes amis américains que la ménopause allait tuer ma libido. Même si tout cela heurte la féministe en moi, je dois bien avouer que c’est logique d’un point de vue évolutionnel. A quoi peut bien servir l’appétit sexuel – ou le sex-appeal – si l’on ne peut plus se reproduire ?
« Date d’expiration sexuelle »
D’ailleurs, les statistiques en matière d’activité sexuelle semblent confirmer cette tendance. Aux Etats-Unis, les femmes de 40 ans font encore assez régulièrement l’amour. Mais un tiers des quinquagénaires et près de la moitié des sexagénaires ne le font pas du tout pendant un an. Passé 70 ans, c’est quasiment le néant. Au Royaume-Uni, les chiffres sont tout aussi inquiétants (quant aux hommes, ils déclarent être bien mieux lotis, quelle que soit la tranche d’âge). Je me suis donc peut-être déjà résignée à l’idée que j’ai une « date d’expiration sexuelle » (en écho au sketch d’Amy Schumer ironisant sur le dernier jour où une actrice est encore « baisable »).
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