Depuis le début du mois d’août, certains trottoirs de Montréal sont devenus glissants. La pluie n’est pourtant pas en cause : les piétons font plutôt attention à de grands autocollants apposés sur le sol. « Dindon, champignon, cornichon. Le français, ça sonne bien partout, même à l’épicerie », serinent des adhésifs rose bonbon ou vert melon, qui ont rapidement suscité l’ire des piétons dans Parc-Extension, la seule zone où la mairie a collé ces vignettes incitant, via un QR code, à s’inscrire à des cours de mise à niveau en français. Ce quartier pétri de multiculturalisme est « historiquement très mixte » et « de nombreuses minorités ethniques » y vivent, explique Jack Jedwab, président de l’Institut Metropolis, un centre de recherche indépendant sur la migration, l’intégration et l’inclusion.
La campagne des autocollants de Parc-Extension illustre la politique de francisation du Québec, portée par le premier ministre, François Legault (Coalition Avenir Québec, nationaliste, centre droit). En 2022, le Parlement de la province a adopté la loi 96, qui restreint l’usage de l’anglais dans certains contextes, au détriment des 10,4 % de Québécois anglophones (selon les chiffres du recensement gouvernemental de 2021). Entreprises et commerces sont en première ligne de cette croisade linguistique et, si l’initiative des autocollants de Parc-Extension revient à la ville, elle a été financée par le ministère de la langue française à hauteur de 6 696 dollars (4 538 euros).
En quelques jours, la majorité des adhésifs ont été décollés des trottoirs. « Même si l’intention est bonne, cette campagne est patronizing, euh, infantilisante », morigène Louis Demers. Accoudé au comptoir de l’épicerie où il travaille, ce trentenaire a passé un tiers de sa vie à « Parc-Ex » et voit défiler chaque jour les habitués du quartier, souvent plus bavards en grec ou en ourdou qu’en français. « Et je ne connais même pas un francophone qui aurait un mot positif à propos de ces autocollants », renchérit l’ancien étudiant en droit.
« Un affront »
Du côté des associations communautaires, le verdict est similaire : « En visant un quartier d’immigrés, cette campagne est un affront à l’identité des habitants », dénonce Josh Goldberg, membre du comité d’action de Parc-Extension, un organisme de défense des droits des locataires les plus défavorisés.
Le ministère de la langue française confirme que le quartier a été choisi « en raison de l’importante présence de personnes immigrantes allophones qui y habitent ». Surprise des retombées de la campagne qu’elle a pilotée, Dominique Ollivier, présidente du comité exécutif de la ville, estime que « le malaise provoqué par les autocollants met en lumière les tensions qui touchent la paix linguistique de Montréal ».
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